Avant notre installation sur l’île d’Oléron j’étais plutôt du genre « cul-terreux », très attaché à mon terroir d’origine et je me sentais bien les pieds sur terre. La découverte de l’île d’Oléron avec tous ses attraits a été une révélation pour moi. J’ai vite compris que j’y trouverai de quoi combler mes envies contenues, retenues; tous les plaisirs que je n’imaginais pas accessibles pour moi.

L’océan était un univers que je croyais interdit pour le néophyte que j’étais. Je n’en connaissais que ce que j’avais lu dans les livres ou vu dans des reportages. Il m’avait toujours attiré, autant qu’il m’impressionnait. Robinson Crusoé, l'île au trésor, Moby Dick, vingt mille lieux sous les mers, le viel homme et la mer …, furent de mes premières lectures et mes premières « aventures » en mer. Christophe Colomb, Magellan, Vasco de Gama furent mes grands conquérants, mes héros et j’ai lu les ouvrages qui leur étaient consacrés avec curiosité. J’admirais les exploits de Monfreid, de Moitessier, de Tabarly, de Kersauzon, … Les expériences d’Antoine, de Jacques Brel, de Thierry Lhermite m’interpellaient. Thalassa était mon rendez-vous hebdomadaire avec le monde maritime. Mais de là à m’aventurer sur ces eaux, à affronter leurs profondeurs et leurs humeurs, il semblait qu’il existait une frontière que je ne pouvais pas franchir.La providence s’est présentée pour que je l’approche et qu’il devienne l’essentiel de mes loisirs. Chantal, une amie de Marie-Claude (mon épouse), son frère et son compagnon, souhaitaient acheter un bateau et nous ont proposé de nous associer à leur achat. C’est très heureux que nous avons accepté plein de rêves de balades et de pêche en mer. Le compagnon de Chantal possédait son permis-mer avec une certaine expérience, nous envisagions de partager de bons moments ensemble. L’achat du bateau se fit au printemps, Marie-Claude et moi eûmes le temps de le remettre en bon état, prêt à prendre la mer. Il fut mis à l’eau avec l’aide d’amis à la fin du printemps. Durant les premiers mois de l’été, rien ne se passa comme nous l’avions imaginé et nous fumes condamnés à rester sur terre et à contempler le bateau immobile. Le compagnon de Chantal trop chargé de travail ne pouvait pas disposer de temps libre pour prendre des vacances. Notre skipper faisait défaut ! C’est ce qui me décida à passer mon permis mer que j’obtins facilement.
Permis en poche, il fallait oser se lancer sur les flots malgré un grand manque d’expérience. Marie-Claude et moi avons ainsi fait notre première promenade en mer. Notre bateau était sur un mouillage, ce qui ne simplifiait rien. C’était un voilier équipé d’un moteur diesel inboard de 14 chevaux. Un quillard lourd de 5m30 de long, avec une cabine. Le mât, la baume avaient été montés avec l’aide d’amis. Il n’était cependant pas question de larguer les voiles, nous ne comptions que naviguer avec le moteur. Le gouvernail était commandé avec une barre franche. Il disposait d’un safran important en dimensions qui avait une forte prise sur l’eau. Le mouillage était établi entre deux écluses qui sont des pièges à poissons, des édifices traditionnels sur l’île. Ce mouillage fait dans un goulet entre deux écluses est appelé le Cleune, terme très local. Après avoir retiré les béquilles qui empêchaient que le bateau ne se couche à marée basse, le mouillage étant à sec, il fallait libérer les amarres fixés à un corps mort. La navigation commençait, le bateau étant libéré. Tout en le dirigeant avec la barre franche il fallait réguler la vitesse et passer entre les autres bateaux amarrés tout autour et prendre un « couloir » qui permettait de passer entre les deux écluses jusqu’aux bouées qui marquaient la sortie (et l’entrée) du mouillage pour ensuite prendre le large. Tout se déroula bien mais pas sans appréhension. Pour cette première sortie nous avions choisi un temps calme avec une belle mer. Le retour imposait un exercice encore plus délicat. Outre le slalom entre les bateaux il fallait faire une approche lente et précise de notre corps mort pour saisir nos amarres avec une gaffe et les fixer aux taquets avant du bateau. Exercice difficile dans certaines conditions de vents, de houle.
Pour une première fois Marie-Claude s’en sortit très bien, c’est elle qui réalisait la prise de coffre alors que je dirigeai le bateau. Une fois le bateau bien amarré avec les béquilles installées, nous devions descendre dans l’annexe que nous avions encordée à la chaîne des amarres. L’annexe nous avait permis de venir de la plage au bateau, à la rame, nous devions regagner la plage de la même façon. Autre exercice délicat dans certaines conditions de temps et de mer, le plus difficile étant l’abordage de la plage quand la vague de bord est forte. Il n’y a pas de marins qui ne se soient pas faits retournés avec l’annexe lors de ces abordages. Après avoir réussi notre première navigation en mer, nous nous sommes sentis fiers de l’avoir fait seuls, et confiants pour nos sorties suivantes malgré tout ce que nous avions encore à apprendre.
Chantal, et son compagnon prenant conscience qu’ils ne disposaient pas assez de temps libre pour profiter du bateau, son frère n’ayant pas l’âme d’un marin, ils nous proposèrent le rachat de leurs parts. Marie-Claude et moi devenions les propriétaires d’un bateau qui allait nous procurer de grands plaisirs en ouvrant une dimension nouvelle dans notre vie : celle de la navigation côtière avec tout ce qu’elle offre.
Notre inexpérience exigeait beaucoup d’humilité et de prudence. L’écoute de conseils des marins expérimentés qui partageaient le mouillage a été le meilleur des enseignements et j’ai toujours été avide de les entendre. J’ai ainsi acquis les connaissances nécessaires pour naviguer avec confiance. Voilà comment le « cul-terreux » que j’étais est devenu un « cul-salé », un marin Oléronais heureux.
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