..... En ce jour du 25 juillet 1137 me voilà à la cérémonie de mon mariage avec Louis, fils et héritier du Roi de France. Contrairement à la coutume qui veut que des enfants de haut rang soient promis à la naissance à un époux bien choisi par les parents, ni Louis, ni moi-même n’avions été affublés de telles précautions. Mon père avait eu la sagesse de ne pas précipiter un engagement en préférant donner plus d’assurance pour un bon mariage qui aurait les conséquences, les suites, les plus riches et les plus sures pour le Duché d’Aquitaine.
Louis n’était pas destiné à succéder à son père sur le trône de France, la mort de Philippe son frère aîné suite à un accident qu’il faut qualifier de stupide en fit le futur Roi. Philippe traversait à gué la Seine quand son cheval effrayé par un porc échappé d’une ferme voisine est passé dans ses pattes. Le cheval s’était cabré et dans sa chute Philippe fut victime de ce qu’on appellera plus tard un traumatisme cérébral et ne survécut que quelques instants. Comme tous les parents ceux de Philippe furent très peinés de la perte d’un fils qu’ils avaient fait élevé et éduqué pour qu’il soit Roi de France. Louis qui va devenir mon époux dans quelques instants n’aspirait pas à cet héritage, à cette charge lourde, pesante. Dès sa plus tendre jeunesse il a été porté par une sainte foi et a choisi un enseignement pieux avec le dessein de servir Dieu et l’église.
Mon futur époux ne m’a pas particulièrement paru attirant quand je l’ai vu pour la première fois et pas plus aujourd’hui. Notre union est guidée par la nécessité de satisfaire à nos obligations de tout faire, et tout accepter, pour la grandeur de nos terres respectives, lesquelles unies feront une puissance qui leur garantira la plus grande sécurité ainsi qu’une généreuse prospérité avec leurs richesses rassemblées. Louis est plutôt frêle et même chétif. Il n’a rien des chevaliers robustes et vaillants que j’ai coutume de fréquenter. Moi qui attache tant d’importance à la beauté je vais partager le lit avec un mari à l’allure fade et triste. Comment vais-je faire pour vivre sans subir l’ennui et supporter la tristesse d’un quotidien qui me semble aux antipodes des joies et des plaisirs que j’ai connus jusque-là. Beaucoup m’ont décrit une vie tellement différente et un climat si maussade en ce royaume de France. Je suis déjà très mélancolique de savoir que je vais quitter mon Duché et sa douceur de vivre, ses parfums, ses paysages si divers et si chaleureux. Mon cœur est serré d’une séparation avec mes amis les poètes, les troubadours, les musiciens qui enchantent mes jours et embellissent mes nuits de rêves exquis et charmants. Quitter mes terres, cette langue occitane chantante et joyeuse, quitter tout ce que j’aime pour une vie qui sera forcément faite de rigueur avec un époux pas attirant et morne me désole.
Je dois faire face et sembler heureuse, montrer du bonheur dans cette église où est rassemblée toute la noblesse d’Aquitaine, des grands vassaux aux petits seigneurs. Mon père est absent, cloué sur son lit par une nouvelle attaque de dysenterie. Sentant sa mort proche il a arrangé ce mariage en accord avec le Roi de France qui s' est montré ravi de cette initiative. Il fut donc décidé de procéder à la cérémonie de mariage dans les plus brefs délais et l’abbé Suger, conseiller particulier de mon père, fut chargé d’en assurer l’ordonnancement avec diligence. Ce qu’il a su faire avec toutes les précautions qui s’imposent. Louis VI a fait accompagner à Bordeaux mon futur mari par une escorte de cinq cents chevaliers. Le voyage a été long pour ces hommes et toute l’intendance qui les accompagnait et qui constituait une longue caravane avec chariots, bêtes de somme, attirail de bivouac, tentes en pavillons, cuisines portatives, et personnel pour s’en charger. Les haltes et les relais ont été nombreux. Partout sur son passage cette caravane aux allures de grande croisade a été un spectacle pour les habitants des villes et des campagnes traversées. C’était un événement exceptionnel jamais connu, jamais vu depuis la première ambassade envoyée en Aquitaine depuis l’accession au trône de France de la première dynastie Capétienne. De véritables trésors ont été transportés pour m’honorer comme future épouse, les cadeaux les plus splendides les plus somptueux offerts par la couronne de France qui m’ont été remis ainsi qu’à mon Duché.
Duchesse d’Aquitaine je vais bientôt être Reine de France. Je pense à mon frère Aigret mort il y a sept ans sur le chemin de la première croisade. S’il était vivant je ne serais pas Duchesse d’Aquitaine et je n’aurais sûrement pas été choisie pour devenir la future Reine de France. J’aurais alors pu faire le choix de mon époux. C’est certain que je l’aurais choisi bien différent de celui que le destin m’impose d’épouser aujourd’hui. Je suis là, assise sur un trône devant l’autel et face à cette seigneurie si nombreuse. Ma mère est entourée de nos vassaux les plus fidèles, les plus loyaux. Geoffroy de Rancon est au côté de Sire de Taillebourg. Un peu plus loin je vois Guillaume d’Arsac, Arnaud de Blanquefort. Le Roi de France est représenté par Thibaut Comte de Champagne et de Blois, Guillaume de Nevers, Rotrou Comte du Perche, Raoul de Vermandois. Mais mes pensées vont vers Raymond de Poitiers, mon cousin. J'aurais tant aimé qu'il soit présent, si beau, si distingué comme il l’a toujours été. Je pense à notre jeunesse quand nous jouions tous les deux. Nous éclations de joie, ensemble nous étions gaîté, blagues et rires sans fins. Raymond était mon compagnon de jeu préféré. Je crois que je l’ai toujours aimé. Là-bas à Antioche pense-t'il à moi comme je pense à lui? A t'il bien reçu ma lettre qui fait part de mon mariage avec le Roi de France? Je me dis que le destin m’a fait de mauvais cadeaux avec mon titre de Duchesse d’Aquitaine en héritage et Raymond comme cousin. Dans d’autres situations j’aurais pu courtiser Raymond et l’épouser. Je imagine son regard se poser sur moi. Comment me trouverait-t-il dans ma robe d’écarlate richement décorée ?
A ma droite, sur son trône Louis vit la cérémonie avec un air taciturne. A quoi pense-t-il? A son père mourant, à sa future charge de Roi de France ? Que pense-t-il de moi qu’il n’a pas choisie comme je ne l’ai pas choisi ? Il envisageait le célibat souhaitant entrer dans les ordres. Lui aussi rêvait d’une autre vie ....
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