Récemment, j’ai revu pour la seconde fois le film « PIAF ». Une interprétation impressionnante du rôle de la célébrité internationale de la chanson française par Marion Cotillard. On comprend la récompense de l’Oscar d’Hollywood qui lui fut décerné pour cette interprétation surréaliste.
Le film, comme souvent, fait quelques entorses à la réalité mais il est tout à fait dans le ton, dans le rythme et dans les tourbillons et les tourments de la vie de Piaf. Née à Belleville, très vite abandonnée par sa mère, seule avec un père saltimbanque alcoolique, colérique. C’est dans ce milieu « de la cloche » que la petite Edith Gassion va vivre sa prime jeunesse. Trimballée dans une roulotte de cirque, abandonnée dans un hôtel de « passes », récupérée par un père qui vit de la manche avec ses acrobaties de contorsionniste sans grand talent, elle survit de pas grand-chose et doit faire face à tous les dangers de la fange sociale. De cette éducation « de la rue » elle conservera toute sa vie une vulgarité, une certaine brutalité, une infidélité. Elle sera mythomane, nymphomane, elle brûlera la vie, certainement parce qu’elle n’aimait pas sa vie. Quand elle aimera ce sera avec des amours éphémères, elle accumulera les aventures, elle consommera les amants. Le grand amour qu’on retient dans cette galerie de maris et d’amants est sa liaison passionnelle avec Marcel Cerdan. Un amour d’autant plus grandi par la célébrité mondiale qu’avait atteint Marcel Cerdan avec son titre de champion du monde et par sa tragique disparition lors de son voyage pour la revanche où il remettait son titre en jeu. Accident difficilement explicable du Constellation près des Açores : tout fut imaginé, jusqu’au sabotage. Morbide mort de l’amant d’Edith Piaf qui, impatiente de le retrouver, l’avait poussé à avancer la date de son voyage et le conduisit ainsi à sa mort. Cerdan disparu, on peut tout imaginer : Il faut cependant retenir que celui-ci n’envisageait pas d’abandonner son épouse, sa famille et sa vie heureuse au Maroc. Piaf le savait. Alors quel avenir aurait eu cette liaison « passion » ? Comment croire à une possible fidélité de Piaf dans le temps ? Toute sa vie a démontré le contraire.
La carrière de Piaf a débuté avec le soutien de Louis Leplée, en 1936. Il la prend sous son aile, Il lui donne un nom d’artiste : Edith Gassion devint la Môme Piaf. Il la présente dans son cabaret de la rue Pierre Charron, le Gerny’s. C’est là que le tout Paris découvre la Môme Piaf. C’est avec les images de la vie de Piaf à cette époque, reproduites dans le film, que j’ai vu le « fantôme » d’Annette LAJON. Chanteuse très populaire révélée en 1934 avec son succès « L’étranger », musique de Marguerite Monnot, paroles de Jules Gallot, et désignée grand prix de la chanson en 1936. Edith Piaf assista discrètement à une répétition d’Annette LAJON et fut séduite par cette chanson. Elle en retint les paroles et la mélodie et sans autorisation l’introduisit dans son répertoire pour l’interpréter au Gerny’s. Annette LAJON n’apprécia pas ce « vol » et en fit la remarque à Piaf. Contrairement à ce que la presse à scandale de l’époque écrivit, il y eut certainement des mots entre Annette LAJON et la Môme PIAF, mais pas d’altercation, pas de gifle ! Il semble même qu’Annette LAJON transmit à PIAF les coordonnées de Marguerite Monnot qui devint ensuite la compositrice de tant de ses succès. Si le succès de PIAF commençait alors modestement, celui d’Annette LAJON était plus important avec « L’étranger », « Chanson gitane », « On s’aimera quelques jours », « Pour un peu de bonheur », « J’ai perdu d’avance », ... Dans le même temps on ne retiendra de PIAF que « l’accordéoniste (la fille de joie est triste) ». Le grand succès pour Edith PIAF commencera en 1946, c'est-à-dire après-guerre. Au contraire, celui d’Annette LAJON déclinera bien qu’elle chantera avec la reconnaissance d’un public jusqu’en 1954 pour mettre fin à sa carrière en 1960 avec une dernière aux Concerts PACRA, Marguerite Monnot l’accompagnait au piano. A la sortie de la guerre c’est une nouvelle génération d’artistes qui va voir le jour. Edith PIAF en sera la grande interprète de la chanson française dans ce qu’elle exprime de plus traditionnel, dans la ligne des Fréhel, Damia, … C’est avec une expérience de vie très chargée, de chanteuse de rue, avec une voix d’exception qu’elle va devenir la grande chanteuse française encore reconnue mondialement comme telle plus de cinquante ans après sa mort et cela pour bien longtemps encore. Annette LAJON représente une autre expression de la chanson française, plus lyrique, plus sobre dans le style. Son parcours de vie fut d’abord celui d’une enfant de commerçants qui avaient bien réussi dans leur négoce de vins et spiritueux. Des parents qui lui prodiguèrent l’amour et l’éducation, qui la poussèrent à faire des études pour assurer son avenir. Elle apprit l’anglais et l’allemand et obtint un diplôme de secrétaire multilingue. Attirée par la chanson, elle eut la chance d’avoir comme belle-sœur la grande artiste lyrique, la célèbre cantatrice soprano Alice Raveau qui lui donna des cours de chant. Conseillée par Reynaldo Hann, elle abandonnera le chant classique pour la chanson populaire. Elle gardera le caractère subtil et raffiné du chant, une élégance qui tranchait avec le style des interprètes de l’époque. Annette LAJON gardera ce caractère un peu guindé, précieux et ne fera pas dans le populaire, dans la gouaille. Elle gardera toujours cette distinction et refusera des chansons comme « le petit vin blanc » qui lui fut proposée en exclusivité par le compositeur Charles Borel-Clerc et Jean Dréjac qui écrivait déjà pour elle. Elle répliqua « comment voulez-vous que j’interprète cette chanson vêtue d’une robe de soie longue ? ». Annette LAJON passera ainsi à côté d’un immense succès populaire qui fit le bonheur de Lyne Margy. On voit là la différence entre une Edith Piaf qui savait saisir à la volée les compositions à succès et qui se les appropriait avec sa forte personnalité et son talent, et la stature plutôt « bourgeoise » d’Annette LAJON qui refusait de sortir de sa condition « précieuse ». Annette LAJON fut une magnifique chanteuse, mais ne sortit jamais vraiment de sa formation lyrique, de sa condition plutôt « distinguée ».
La chanson « L’étranger » est un lien entre ces deux chanteuses si différentes que furent Annette LAJON et Edith PIAF. Une très belle chanson que beaucoup reconnaissent mieux convenante pour Annette LAJON et mieux interprétée que par Edith PIAF. Ce sera l’inverse pour « L’accordéoniste » ! Je suis arrivé à Paris en 1962. Elève du Collège de la Place des Vosges, pour m'y rendre je marchais boulevard Beaumarchais, mon regard se posait toujours sur l'entrée des Concerts PACRA et sur les lettres de néon qui présentaient les artistes qui y chantaient. J'y écrivais le nom d'Annette LAJON! A la même époque Edith PIAF était domiciliée Boulevard Lannes. J'ai le souvenir de l'avoir vue avenue d'Eylau, en promenade dans une calêche tirée par deux chevaux guidés par Théo Sarapo (son jeune mari). Petite silhouette frêle enfoncée dans le siège avec un foulard sur sa tête, Edith PIAF était souriante. Mais à quarante six ans elle avait des allures de vieille petite femme. Elle mourut l'année suivante, le 10 octobre 1963. Annette LAJON vécut jusqu'en 1984. Elle avait conservé cette classe et cette dignité de "dame" jusqu'à son dernier jour.
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