« Les escaliers de la Butte sont durs aux miséreux, les ailes des moulins protègent les amoureux ».
J’adore cette chanson que j’ai si souvent en tête. L’interprétation de Cora Vaucaire est celle que je préfère. Les paroles, la mélodie me replongent dans mes années montmartroises. J’ai habité rue Lamarck, coté nord de la Butte, de 1969 à 1974. J’en garde des souvenirs très forts et très particuliers.
La Butte c’était Montmartre, une enclave dans Paris. Un esprit populaire, une vie douce et plus lente, peut-être à cause de la pente qui ralentissait les pas et accélérait la respiration. Des pas qui s’avançaient dans une atmosphère, un parfum de poésie. Durant plusieurs années j’ai travaillé de nuit et j’en ai profité pour me balader et respirer l’air du quartier le jour, quand mes études m’en laissaient le temps. J’aimais les escaliers de la Butte. Les escaliers qui descendent de la rue Lamarck pour aller plus bas rue Marcadet, avec son cinéma disparu le « Marcadet Palace » : sièges en bois basculants, scène de spectacle surélevée devant l’écran au fond. J’y ai vu quelques films et des spectacles de variétés, un festival de Rock avec les groupes Variations, Anges, Trust qui étaient très populaires. Escaliers qui montaient pour aller rue Caulaincourt, puis rue Junot pour aller Place du Tertre. Promenade qui me plaisait aux beaux jours. J’aimais les boutiques de matériel pour les artistes peintres, je rêvais devant leurs vitrines. Je m’arrêtais devant la librairie de la rue Norvins. J’aimais regarder les boulistes du petit square d’en face, personnes âgées de la maison de retraite tenue par une congrégation de religieuses.
Plus haut j’admirais la vielle boulangerie avec sa devanture ancienne en face du célèbre Restaurant « Le Consulat ». Cinquante mètres plus loin j’arrivais Place du Tertre. Je bavardais avec quelques peintres, j’aimais sentir les odeurs de leur peinture, de térébenthine et de siccatif. C’était folklore pour badauds. Plus de peintres pour touristes que d’artistes de grand talent. Les beaux tableaux étaient ceux des galeries des rues adjacentes, plus discrètes, plutôt oubliées des touristes mais tellement agréables. Je m’en retournais par la rue Saint-Vincent, longeant la célèbre petite vigne, la maison de Dalida, je passais devant le cabaret du « Lapin agile ». Aristide Bruant y semblait encore présent, déclamant, chantant et buvant. De jour ce lieu était éteint, sans vie. De nuit il était animé, fréquenté par les poètes, par les chanteurs et les parisiens, les touristes avertis, curieux de ce lieu mythique. Sur la façade d’un immeuble tout proche j’admirais un cadran solaire, comme l’avaient sûrement fait avant moi Picasso, Apollinaire, Utrillo, Modigliani, Mac Orlan, …
J’aimais prendre le soleil assis sur les marches du Sacré-Cœur et lire des ouvrages souvent achetés dans cette petite librairie de la rue Norvins. C’est là que j’ai découvert William Faulkner, Siegfried Lenz, Gunter Grasse, Stefan Sweig et tant d’autres écrivains et philosophes. Sur les marches, un peu plus bas, des beatniks se réunissaient, cheveux longs, parkas de surplus américaines et guitares; l’un d’entre eux au physique plutôt frêle, avec des lunettes aux verres épais et fumés se distinguait et s’en sortait plutôt bien à faire « la manche » en chantant des chansons folks de Dylan et Donovan. C’était Michel Polnareff qui peu de temps plus tard devint un artiste à succès. Dans ma rue je retrouvais régulièrement un de mes voisins qui promenait son chien matin, midi et soir. Un épagneul breton à l’air triste et aux oreilles bien pendantes. Maître et chien avaient une certaine ressemblance. Ce célèbre maître était Jean-Roger Caussimon, poète de la chanson, auteur pour Léo Férré et autres grands artistes.
Le métropolitain était mon seul moyen de transport. Matin et soir j’avais le privilège de prendre l’ascenseur de la station Lamarck-Caulaincourt. Cage et cabine circulaires, de style art déco, cet ascenseur est, avec ceux de la station « Abbesses », une curiosité. C’était pour les habitants du quartier Lamarck-Caulaincourt un lieu de rencontre obligé où l’on partageait un espace restreint, une cage, qui nous épargnait les nombreuses marches d’accès au niveau de la station. Il m'arrivait de prendre cet ascenseur et de faire quelques stations avec la très belle actrice rousse Catherine Rouvel.
Voilà trente ans que je ne suis pas revenu dans ce quartier que j’ai tant aimé. Je revisite parfois ces lieux que j’ai si bien connus grâce à internet. Je remarque des changements qui me rendent triste. Des commerces disparus. Ces boulangeries de quartier typiques remplacées par des façades tristes: nouveaux commerces, bureaux, magasins de pacotilles… Mes librairies ont disparu. La Place du Tertre n’est plus occupée par les peintres et les portraitistes qui attiraient les touristes et les promeneurs du dimanche. La place est désormais occupée par des terrasses, concessions attribuées aux bars voisins. Le commerce de limonade a chassé celui de la peinture et du croquis. Tout me semble bien différent du Montmartre que j’ai connu et où j’ai aimé vivre ma jeunesse d’étudiant. Je reviendrai certainement un jour sur mes pas à Montmartre. Je sais que je ne retrouverai pas ce que j’y ai tant aimé. Il me restera toujours des souvenirs merveilleux et un petit tableau que j’avais peint, tout simple, dans le style "Utrillo du dimanche", qui représente les escaliers de la Butte. (Ces escaliers qui montent du square Caulaincourt à l’avenue Caulaincourt).
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