Enfant du « baby-boom » comme tous ceux qui sont nés dans ces années d'après-guerre où la France s'est reconstruite et s'est redressée des ravages et des blessures profondes qu'elle avait subies, j'aurais durant presque 60 ans vécu avec une icône de la chanson et du spectacle. Oui comme tous ceux de ma génération, j'ai quelque chose de Johnny qui m'a suivi tout au long de ces presque soixante années. Chacun de nous a vécu cette coexistence très souvent appréciée, parfois faite d'admiration et même de dévotion, parfois mal considérée, mais toujours bien présente. Chacun de nous peut dire son ressenti de ces années avec Johnny, ce qu'il en retient, ses émotions de l'avoir perdu et cette confirmation que le monde de la chanson et du spectacle ne sera désormais plus le même, qu'il a perdu une icône, une vraie star par sa personnalité et son talent.
Fils unique, la radio fut ma principale compagne dès ma petite jeunesse. Un poste volumineux qui dominait sur le buffet avec son œil vert comme témoin du bon réglage sur la station choisie. Avant 1959 les choix de radios nationales diffusées sur les Grandes Ondes se partageaient entre France I (ex-Paris Inter et future France-Inter) et Radio Luxembourg. Autour de ces stations nombreuses étaient les petites stations de Radios régionales, locales, diffusées sur les petites ondes.
Ma Radio était plutôt réglée sur Radio Luxembourg mais aussi, parfois, sur France I. Elles diffusaient essentiellement des chansons en dehors des émissions de concours de connaissances générales ou spécialisées, des feuilletons, des radios crochets (concours de chants), des retransmissions sportives et bien sûr des actualités et des reportages. Les vedettes de l'époque étaient celles des adultes (bientôt taxés d 'être des croulants!), Tino Rossi, Luis Mariano, Gloria Lasso, et déjà Edith Piaf consacrée par son succès à New-York. Le premier chanteur du style nouvelle vague fut Gilbert Bécaud dont le dynamisme, la fougue sur scène lui valurent le surnom de monsieur 100 000 Volts. La première chanteuse qui montra une expression et une allure jeune et moderne fut Dalida. D'origine Italienne ayant vécu en Égypte elle avait bénéficié du soutien de Lucien Morisse, futur directeur d'Europe 1, qui en fit la future vedette des disques Barclay. Quant au premier chanteur « rocker », ce fut Richard Anthony avec sa reprise de "Peggy Sue" de Buddy Holly en 1958 et son premier succès style be-bop léger « Nouvelle vague » en 1959.
1959, l'année de l'arrivée sur le ondes de Europe N°1. Radio très orientée vers les nouvelles musiques avec ses émissions consacrées au Jazz « Pour ceux qui aiment le Jazz » de Frank Ténot et Daniel Filipacchi. Les deux compères qui lancèrent durant l'été l'émission « Salut les copains », émission journalière à partir du mois de septembre qui révolutionna le paysage de la Radio en programmant les productions discographiques américaines et qui fit connaître les grands maîtres du Jazz et du Rock. Voilà comment Elvis Presley, Eddy Cochran, Bill Halley, Buddy Holly, Ray Charles, Gene Vincent (Britannique), Paul Anka, … vinrent à nous.
La scène française était encore occupée par les artistes « vieux style ». Gilbert Bécaud détonnait par son enthousiasme et commençait à dépoussiérer les planches des music-halls. Une jeunesse rongeait son frein en « coulisse » en découvrant les rockers anglo-saxons et répétait les chansons et les gestes devant les glaces. Jeunesse parisienne qui se retrouvait au bar du Golf Drouot et qui commençait à oser s'exprimer. C'est ainsi que se retrouvaient Eddy Mitchell, Jacques Dutronc, Danny Logan, Franky Jordan, Long Chris autour du juke-box et sur la petite scène du Golf Drouot. Il y avait aussi là un grand jeune homme au style dégingandé et à la belle gueule. Il avait déjà bien « roulé sa bosse» sur les planches avec sa famille qui l'avait poussé à chanter avec sa guitare de cabarets en petits théâtres à travers l'Europe. La famille était revenue à Paris dans ce 9ème arrondissement, ce quartier où se retrouvaient ceux qui n'imaginaient sûrement pas devenir de vedettes qui tiendraient le haut de l'affiche plus de 50 ans.
Le beau jeune homme c'était Johnny bien sûr. Sa passion c'était déjà le Rock. Dès qu'il vit Elvis Presley il comprit qu'il avait les capacités de faire à sa façon de la chanson et de la scène comme le « King ». Mais il y avait un autre Rocker qui avait cette même ambition et qui avait pris de l'avance : Vince Taylor, Britannique que l'Angleterre encore trop puritaine n'avait pas envie d'entendre s'était établi en France et se montrait déjà comme un mélange de Presley et de Gene Vincent avec un coté plus sauvage, plus « bad boy ». Vêtu de cuir noir de lourdes chaînes au poignet, il était déjà présent sur les scènes qui osaient le présenter et avait déjà fait se déchaîner une jeunesse à l'Olympia.
Et Johnny arriva !
Beaucoup l'ont oublié, la rivalité fut ardue entre Johnny et Vince Taylor. Si Johnny s'en sorti si bien, c'était grâce à ses démonstrations scéniques et ses premières télévisions réussies. Il était encore loin des folies et des déséquilibres sérieux qui traversaient la personne et l'esprit de Vince Taylor. L'alcool, la drogue les accès de fureurs étaient le quotidien du « bad boy » adulé par les « blousons noirs ». C'est ainsi que Vince se perdit et sombra dans une terrible dégringolade. Le rival de Johnny lui laissait la place libre pour devenir ce qu'il rêvait d'être : un Elvis à sa façon, un Rocker made in France. Les succès notables s’enchaînèrent vite avec « laisse les filles », « Kili watch », « Sam'di soir »,« souvenirs, souvenirs », « elle est terrible » .... Avec « Retiens la nuit » (Aznavour, Gavarentz) il fit un succès au-delà de son jeune public qui occupa longtemps le top des chansons réclamées par les auditeurs des radios. Puis ce fut « le pénitencier » ...etc
C'est à la fin des années 50 que j'ai découvert Johnny. Il était mon aîné de 5 années et représentait pour moi l'expression de ma jeunesse et de toute ma génération de teen-agers. Je connaissais déjà les succès des Rockers anglo-saxons, surtout américains. J'étais fan d'Elvis de Cochran d'abord, puis de Jerry Lee Lewis, de Ray Charles, des Everly Brothers, de Little Richard, de Chuck Berry … Johnny allait prendre place à leur cotés. Mon premier spectacle de Johnny fut celui de l'Olympia en 1962. Il était accompagné par les Golden Star et l'orchestre de l'Olympia. Par la suite je l'ai revu maintes fois (autres Olympia, Palais des Sports, Hall de la Villette …).
Mes goûts musicaux s'étaient cependant plutôt orientés vers les productions anglo-saxonnes avec les créations des Beatles, des Rolling Stones, des Who, des Yardbirds, des Animals, …des Beach boys, des Pink Floyd, de Jefferson Airplane, de Led Zeppelin, Jimmy Hendricks, Clapton, De Chicago (Transit Autority), de tous ces groupes qui foisonnèrent en Californie et sur la cote Est des États-Unis. Les grands de la Soul, de la Tamla Motown, d'Ottis Redding à Andy Crawford en passant par Aretha Franklin, par Sam and Dave … aussi. J'allais cherché les nouveautés sur les stations de Radios Pirates des petites Ondes installées dans les eaux internationales au large de l'Angleterre sur des plates-formes offshore. Radio Caroline et Radio Luxemburg étaient mes préférées. Elles n'étaient captables que durant la nuit. Dès 1965 j'ai fréquenté le temple de la pop music, du Rock, à Paris : La Locomotive. J'étais ami de Jean Claude Berthon l'animateur. J'ai appris bien plus tard que Jean Camus, futur producteur de Johnny de longues et difficiles années, aussi !
Quant à Johnny il est devenu pour moi l'un des plus grands showmen (avec Mick Jagger) à partir du spectacle du Palais des Sports en 1976. Il avait su s'entourer des meilleurs musiciens, choristes, arrangeurs et ses versions sur scènes dépassaient très largement ses enregistrements en studio. Il a alors atteint sa puissance d'expression, son emprise totale sur son public et il a su garder ce pouvoir de « bête de scène », de patron du milieu (le taulier) dont je ne connais pas d'égal au monde. A cela se sont ajoutés des choix de compositeurs et d'auteurs qui collaient au talent du chanteur sur scène, à sa personnalité à la fois tumultueuse et généreuse. Avec Gil Thibault, Michel Berger, Obispo … et surtout J.J. Goldman, il a créé des pépites de la chanson française qui resteront encore très longtemps diffusées et appréciées. Manqueront désormais ses représentations sur scène, inégalables par leur puissance, leur énergie et les vibrations qu'il envoyait dans les corps et les cœurs. Johnny aura été un catalyseur qui a permis des compositions et des écritures de chansons superbes, et un interprète que j'ose qualifier d'inégalable. Dans un registre différent Jacques Brel aura été un équivalent. Deux autres artistes l'auront été éphémèrement, Jacques Higelin au Casino de Paris en 1983, et Jean Guidoni au cirque d'hiver en 1986.
Johnny Hallyday restera le grand showman des années 1976 à 2016.
Les commentaires récents