Mais c'est surtout le chant qu'elle étudia. Conseillée par sa belle-sœur, la grande cantatrice Alice Raveau, de douze ans son ainée, elle chanta Werther et Carmen à l'Opéra Comique, et présenta des récitals, en mars et avril 1932, aux Concerts Touche, salle Debussy (8 rue Daru), dont la revue La Semaine à Paris rend ainsi compte:
"Sa voix est d'un beau timbre très pur, assez chaud. Dans la douleur, cela prend une sorte de velouté très séduisant" (17.03.1932). et "Annette Lajon très simple, en longue robe noire, pas de bijoux. Un visage pathétique et des mains expressives... Elle sait mener le jeu subtil des nuances" (18.04.1932).
Lors d'une représentation à la Salle Pleyel, sa voix séduit un certain Reynaldo Hahn, futur directeur de l’Opéra de Paris, qui lui conseille d'entamer une carrière de chanteuse populaire plus lucrative. D'autant plus que son mari, Maurice Raveau, revenu gazé de la guerre des Dardanelles, doit subir des traitements onéreux.
Pour éviter toute confusion avec sa belle-soeur, déjà célébre internationalement, Annette RAVEAU prit pour nom d'artiste son nom de jeune fille Annette LAJON.
Dans Radio-Magazine du 14.03.1937 René Bizet écrivit: "Le talent de Mlle Annette Lajon est le plus aimable qui soit. Les chanteuses qui joignent à une voix agréable et timbrée -j'insiste sur cet adjectif- une diction claire, si agréablement mariée à une voix qui pourrait être encore plus charmante sont rares..."
En 1943, le compositeur Charles Borel-Clerc reçut les paroles d'une chanson écrites par Maurice Dréjac. Très séduit par ces paroles, il travaille trois mois durant et écrit la musique. C'est à Annette LAJON qu'il propose la création de cette chanson. Annette la refuse lui disant " Comment voulez-vous qu'avec une robe blanche du soir, j'annonce "le Petit vin blanc?". Voilà comment Annette LAJON est passé à coté d'une chanson qui allait devenir un énorme succès, qui a traversé le temps et que chantent encore les fêtards autour d'une table. Cette chanson reste la plus populaire du répertoire de son auteur, de son compositeur et de son interprète avec une étrange invitation à la fête à une époque sombre de l’histoire. Bien des années plus tard, à la Fête de l'Humanité dont il était un habitué, Jean Dréjac expliquera que la chanson traduisait « la gaieté » de la Libération. Ensuite, elle a été transmise par les fêtes familiales et beaucoup de jeunes la chantent encore aujourd’hui. Ah ! Le petit vin blanc, dans son texte, fait référence à la ville de Nogent-sur-Marne qui, d’ailleurs, s’autoproclame depuis longtemps « la ville du petit vin blanc ».(Wikipédia) |
En intégrant le groupe de combattants Annette LAJON délaissa sa carrière d'artiste en vogue pour servir sa patrie et la libérer de l'occupant nazi. Robert Artaud, alias lieutenant-Colonel Amilcar, dans une lettre adressée en 1945 à un ami ancien résistant de son groupement, Robert Laganne, alias Capitaine Robert, met l'accent sur le rôle important d'Annette LAJON et de son dévouement après guerre pour organiser des galas de solidarité en faveur des résistants blessés et des familles des morts aux combats. Il met en évidence un très important gala organisé à l'Opéra Garnier en présence du Général De Gaulle et de nombreuses tournées de bienfaisance.
Mon grand oncle, qui habitait et travaillait dans le onzième arrondissement de Paris, se rendit à ce spectacle de sa cousine au "Concert Pacra", avec l’envie de nouer des liens familiaux naturels qu’ils n’avaient jamais connus. Annette Lajon, entourée de son monde d’artistes, n’avait pas pu répondre à l'attente de mon grand-oncle qui constata que sa cousine vivait dans un milieu, dans un monde, très différent du sien. Rien n'a changé aujourd'hui, les artistes vivent toujours différemment du reste de la société, avec leurs extravagances, leur mégalomanie, leurs inquiétudes. Tous amis lorsqu'ils sont ensemble, mais souvent jaloux, rivaux dès qu'ils sont confrontés à leur solitude, à leurs doutes. Annette LAJON n'échappait certainement pas à ces travers, à ces faiblesses. |
Les évolutions techniques et artistiques dans le métier, les générations plus jeunes, et les vedettes montantes de l’époque comme Jacqueline François, Mathé Altéry, Annie Cordy, Line Renaud, avec la prédominance du succès d’Edith Piaf, mirent en réserve bien des artistes d’avant guerre. Annette Lajon arrêta sa carrière d'artiste en 1961 pour se lancer dans les affaires, une agence immobilière franco-espagnole, et l'import-export semble t'il?
Je suis arrivé à Paris en 1962. J’avais toujours été très intéressé par la chanson française, mais les années 60 furent une révolution pour celle-ci avec l’arrivée d’une vague artistique nouvelle, jeune, qui balaya rudement les « anciens ». La discographie des artistes d’avant 1960 ne fut plus rééditée, les vieux music-halls fermèrent et les radios ne les diffusèrent plus. La chanson à Paris s’exprimait désormais à Bobino pour les chanteurs à texte (Ferré, Brassens, Ferrat ..), à l’Olympia pour ceux qui remplissaient une salle de 1200 spectateurs (Bécaud, Aznavour, .. et la vague « Yé-Yé » rejointe, puis dépassée, par la chanson, la musique anglo-saxonne). A partir de 1981, j’ai été associé à la création d’un Café-concert (Les Trottoirs de Buenos-Aires) et j’ai exercé des activités bénévoles dans les milieux de la chanson et du spectacle. Annette Lajon restait pour moi une énigme dont je connaissais trop peu. Je n’avais jamais entendu sa voix.
J'ai commencé une recherche d'informations sur sa vie, et j'ai essayé de retrouver ses enregistrements chez les collectionneurs, chez les bouquinistes des quais de la Seine, aux Puces ... Il fallut un hasard incroyable pour qu’un dimanche de 1983, en balade sur les Champs-Elysées, je sois entré chez Lido-Musique pour fouiller les rayons des rééditions de la chanson française, et que je tombe sur une pochette de 33 tours que je saisis et que je tirai vers moi. Je lus un grand A, suivi d’un grand N, puis d’un deuxième N, ... et à la fin de ma prise en main, je vis avec surprise et émotion le nom d'ANNETTE LAJON. C’était une réédition toute chaude de 14 chansons. Au verso de la pochette, il y avait un texte élogieux de Roland Forez. Ma première écoute fut la découverte de cette voix séduisante, mais également la confirmation d’une artiste très sensible et raffinée. Rien de théâtral et de trop mélodramatique dans l’expression comme on le ressent avec Damia, mais beaucoup de retenue, tout dans la justesse et la sobriété. J’aurais aimé en savoir plus sur Annette Lajon qui était alors âgée de 82 ans. J’ai fait des recherches, je ne savais pas si elle était encore vivante. Pas d’Annette Lajon sur l’annuaire téléphonique parisien.
En 1984, je parvins à joindre Roland Forez par téléphone et je lui fis part de mon souhait de rencontrer Annette Lajon. « Hélas me répondit-il, c’est trop tard, elle est décédée le mois passé ». Il me dit la grande estime et l’amitié qu’il éprouvait pour Annette Lajon. Elle avait vécu avenue de Versailles, à Paris dans le 16ème arrondissement, j'habitais le 15ème! Je ne l’ai donc jamais connue, et les années qui suivirent ne firent qu’estomper toujours plus l’empreinte de sa carrière artistique. Jusqu’au jour où la mode des sonneries téléphoniques s’est attaquée à des chansons anciennes, et a réveillé certaines de ma cousine comme « chanson gitane », et jusqu'à tout récemment avec la mise en ligne des chansons d’Annette Lajon sur internet via des sites musicaux très spécialisés. Voilà comment avec un click sur les liens suivants vous pourrez découvrir Annette LAJON et ses chansons :
Sur ces sites il suffit d'entrer ANNETTE LAJON dans la zone recherche pour accéder à ses titres. (Il est généralement nécessaire de s'inscrire sur ces site pour les consulter)
http://www.musicme.com/
http://www.deezer.com/fr/
https://www.musicme.com/J%27Ai-Perdu-d%27Avance-(1940)-t401695.html
https://www.musicme.com/#/Annette-Lajon/titres/On-S%27aimera-Quelques-Jours-t364564.html
L’écoute doit situer l’époque des enregistrements. Certes le chant et la musique ont aujourd’hui un caractère qui semble vieillot ! C’était le style de chant de l'époque, de la chanson qualifiée de réaliste. Il s’agissait d’une manière de chanter qui datait de la première moitié du siècle. L'accent parisien d'Annette LAJON "pointu" est très remarquable. Les enregistrements étaient gravés sur des disques de cire qui tournaient à 78 tours/minute. Le disque plat ne date que de 1887 ! Il faut attendre 1947 pour que soit inventé le microsillon qui permettait une reproduction plus fidèle et une forte atténuation du bruit de fond. Le long play 33 tours permit aussi d'enregistrer une gamme de fréquences plus étendue et de mieux restituer la musique et la voix. La particularité d'Annette LAJON est, dès ses premiers enregistrements, de se situer dans un style très personnel, et nouveau, qui est intermédiaire entre celui d'avant-guerre et celui d'après-guerre. En cela elle fut novatrice. Elle dépoussiérait la chanson populaire de son expression passée, souvent faite d'excès pour accentuer les effets mélodramatiques recherchés avec exagération. On remarque vite les qualités vocales très subtiles, l'étendue remarquable et facile de son registre, et la couleur chaude et profonde de la voix d'Annette LAJON . On devine un don naturel, une voix exceptionnelle qu'elle avait bien travaillée, grâce à l'enseignement de qualité que lui fit Alice RAVEAU, mais qui avait certainement naturellement déjà toutes les qualités d'une chanteuse d'exception.
Hommage de Roland FOREZ qui figure sur le disque de 14 chansons PATHE MARCONI EMI Réédition de 1982.
Une longue silhouette drapée d’une robe « BLEU FRANCE », un fin visage auréolé de boucles dorées, c’était vous… Annette LAJON… entre 1936 et 1944… que votre public retrouve aujourd’hui… grâce à la magie du microsillon… Ce public a quelques années de plus .. mais il retrouve sa jeunesse avec vos refrains légers… ces chansons si simples et si faciles à retenir et que l’on va fredonner encore longtemps. « on s’aimerai quelques jours »…« sur la route qui va… »« j’ai perdu d’avance »…
Paroles et musiques si simples qu’on a l’impression de les avoir toujours connues…
Après que les projecteurs de l’ALHAMBRA se fussent éteints en 1944… vous avez disparu. La Résistance vous avait accaparé, dans le maquis de la Vienne, avec Robert Artaud , alias Lieutenant-Colonel Amilcar… Ce public qui vous aimait ne le savait pas… et vous avez abandonné une carrière qui avait commencé dans la gloire avec « l’ETRANGER », grand prix du disque CANDIDE en 1936, plébiscité par les plus grandes personnalités de l’époque dont Colette, MAURICE YVAIN, GUSTAVE CHARPENTIER, EMILE WUILLERMOZ.
Et pourtant rien ne vous destinait à devenir vedette de la chanson populaire… à l’ABC… à l’ETOILE… à BOBINO, L’EUROPEEN… et L’ALHAMBRA, L’OPERA COMIQUE vous attirait et vous avez chanté ‘Charlotte » de Werther… et CARMEN…
Mais avant 1936… vous avez rencontré un jour REYNALDO HAHN qui était amoureux de votre voix et vous a dit : « ANNETTE, chante pour un public qui aime la chanson… chante ces ritournelles qui font vibrer les cœurs… ces chansons simples qu’aimait PAUL VALERY… et où chacun retrouve ses états d’âmes… ses solitudes… ses amours…
Et vous l’avez compris… et vous avez apporté à ce public qui va vous retrouver… toute la tendresse de voix en MEZZO LEGER, et votre cœur.
… la chanson n’a pas d’âge… vous non plus… Vous entrez en scène… Les projecteurs s’allument…
Voici « ANNETTE LAJON ».
(Roland Forez, Septembre 1982)
|
Voir la suite: Documents inédits, lien suivant:
Commentaires